Freaks, malgré sa version écourtée par la censure, reste une preuve de l'existence de ces hommes et femmes ayant des difformités physiques que l'on présentait autrefois dans les cirques pour amuser et effrayer le public.



Il est donc très intéressant de comprendre qu'un film peut être, même s'il ne s'agit que d'une fiction, un témoin essentiel d'une époque, et même si le cinéma est encore jeune, cet art sera riche pour comprendre les mœurs et les habitudes d'une époque. Il est dommage de constater la perte d'une partie de cette œuvre pour la simple raison que son réalisateur ait été en avance sur son temps.

C'est une réflexion sur le rapport à autrui, sur la perception que l'on a de son prochain et de soi-même. Tod Browning avait lui-même des difficultés avec les rapports aux gens. Il a dit à propos de la période pendant laquelle sa femme l'avait quitté :

« Je devais combattre avec ma disposition perverse, ma tendance à me mettre en colère, à ne jamais être d'accord. Je devais soumettre mon esprit hargneux, afin de devenir calme et coopératif. Mais j'y ai réussi. J'ai maîtrisé ma langue et ainsi j'ai réussi à contrôler mon caractère ».

C'est là qu'on note l'importance de ce qu'il appelle « le jeu des échelles ».

Dans presque toutes les scènes du film, les comparaisons de tailles sont importantes. Cela explique certainement pourquoi les protagonistes sont des nains.

Ils sont souvent en contrebas lors des plans moyens, souvent renforcés par des plongées contre-plongées. Hercule et Cléopâtre, qui représentent les gens qui se croient supérieurs, par un jugement basé uniquement par le physique. C'est pour ça qu'ils sont toujours en hauteur par rapport à Hans, pour imposer leur domination.

Alors qu'au contraire les gens « compréhensifs », représentés par Vénus par exemple, sont toujours placés en sorte d'être sur un pied d'égalité. C'est là qu'on constate l'utilisation des escaliers des roulottes, pour permettre un certain équilibre. Une fois les personnages à la même hauteur, leurs vraies valeurs apparaissent, comme pour la scène finale où le puissant Hercule une fois à terre se retrouve mis en déroute par les nains.

La morale est un peu simpliste, c'est combattre le feu par le feu, faire du mal à ceux qui ont fait du mal, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit à la base d'un film d'horreur.

Implicitement, c'est plus que cela.

C'est l'histoire d'un groupe d'individus qui est développée : les personnes se ressemblant physiquement (ici les « anormaux »), se rejoignent et forment un ensemble cohérent ayant ses propres règles valables au sein du groupe et le même genre de rapports avec les personnes extérieures. Mais il présente surtout une sorte de tentative d'ouvrir l'esprit des gens, de leur montrer que ces personnes considérées jusque-là comme des monstres ou des créatures incomplètes, peuvent aussi éprouver les mêmes sentiments que n'importe qui, voire les mêmes que ceux du spectateur lambda. Ils peuvent tomber amoureux, rire, chanter, faire la fête, avoir une vie de famille et des amis, être autonomes ou vivre en groupe.

Mais surtout, à travers ce film, Browning cherche à montrer que ces « monstres » peuvent se montrer plus « humains » que les autres, puisqu'ils sont capables d'accueillir à bras ouverts des « gens normaux » dans leur groupe. C'est une façon, incomprise à l'époque, d'amener les gens à réfléchir à ce sujet, le but étant de montrer qu'il faut mesurer les conséquences de ses actions et de ses jugements et non pas craindre des gens physiquement différents ; c'est une mise en garde contre ceux qui s'aviseraient de vouloir dénigrer d'autres personnes à partir de critères purement physiques : ils reçoivent la punition de se voir transformés en ce qu'ils détestent le plus. Bref,les monstres ne prennent pas la forme que l'on croit. Les vrais monstres n'en ont pas l'apparence. On est monstre dans les faits, par ses actes.

Ce film, dans la période des premiers films d'horreur était, certes, choquant par certaines scènes mais surtout par le fait qu'il exhibe des personnes réelles, touchées par des malformations et travaillant réellement dans un cirque. Le côté effrayant de certains est, de plus, exacerbé par des costumes grotesques ou un comportement apparemment anti-social, comme celui de ceux qui passent leur temps cachés dans l'ombre, sous les roulottes. Toute une partie du film se déroule dans une atmosphère crépusculaire ou la nuit, notamment la fin du film qui se termine dans une forêt, en plein orage, avec tonnerre, éclairs etc.

Il y a peu de musiques différentes. Le film s'ouvre sur des musiques plutôt gaies, festives comme l'air de flûte lors de la rencontre des "monstres" dans le parc. On retrouve ce genre de musique plus tard, lors du repas de noces, mais cette fois-ci en décalage complet avec l'atmosphère tendue et dramatique qui caractérise la scène.

A la fin du film la musique devient plus angoissante et permet le basculement du film dans le fantastique, notamment avec un air d'harmonica assez macabre. Entre ce début et cette fin, on entend essentiellement de la musique de cirque ; celle-ci, omniprésente mais en bruit de fond, accentue encore la sensation d'étrangeté par le décalage qu'elle introduit très souvent avec le drame.

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